Comment peut-on être Européen ?
Préhistoires d’Europe.
L’histoire de la première Europe, celle des 400 siècles avant notre ère : tel est le sujet traité par l’archéologue Anne Lehoërff dans un beau volume de 600 pages, 200 illustrations et une trentaine de cartes.
Nous avons vu comment le paléontologue australien Tim Flannery a décrit l’évolution du territoire de l’actuelle Europe depuis cent millions d’années dans son livre « Le super continent. Une histoire naturelle de l’Europe ». Anne Lehoërff traite des derniers 40.000 ans, de l’apparition de l’homo sapiens sapiens à Vercingétorix. Anne Lehoërff est professeur à l’université CY Cergy Paris Université sur une chaire d’excellence « Archéologie et Patrimoine », auteure de nombreux livres et articles dont « Dictionnaire amoureux de l’archéologie » (Editions Plon). Qu’on ne s’y trompe pas son livre « Préhistoires d’Europe » est tout le contraire d’un ennuyeux pensum : une passionnante plongée dans notre passé pas si lointain…
« Préhistoires d’Europe » fut le premier livre paru dans la collection « Mondes anciens » aux éditions Belin. Il reparaît dans une version de poche : 13 cm x 19 cm, un bel objet pratique à lire. La période couverte en 600 pages, agrémentées de plus de 200 illustrations et une trentaine de cartes, va de Néandertal à Vercingétorix (40.000 à 52 avant notre ère). Des hominidés vivaient dans le territoire de l’actuelle Europe depuis environ un million d’années. Nos prédécesseurs immédiats furent les Néandertaliens de 400.000 à 35.000 ans, dont nous sommes les héritiers partiels. Les premières traces d’existence des êtres humains actuels remontent à 400 siècles. Longtemps identifiés dans le grand public en tant qu’hommes de Cro-Magnon, cousins proches dont des restes fossiles ont été retrouvés dans un site périgourdin. Nous sommes catalogués de façon plus précise comme homo sapiens sapiens (homme sage qui sait), une terminologie optimiste qu’il nous appartient d’illustrer…
Anne Lehoërff nous accompagne dans cette fantastique aventure humaine jusqu’à Vercingétorix. Comme on le sait, une convention veut que l’histoire proprement dite commence avec l’écriture. La conquête des Gaules par les Romains entraîne sa diffusion. Ce peut être un point de repère temporel. Que nous disent nos ancêtres dépourvus de cet outil ? Beaucoup de choses sur eux-mêmes et leur univers symbolique. Anne Lehoërff a judicieusement sélectionné douze récits en forme d’œuvres allant d’une élégante figurine de cheval trouvée en Souabe et datant de la plus haute époque jusqu’au chaudron en argent richement décoré de Gundestrup (Danemark) datant du II°-I) siècle avant notre ère…
Les Européens à la recherche d’eux-mêmes
Le récit figuratif le plus ancien d’Europe connu est celui inscrit sur les parois de la grotte Chauvet : une dizaine de salles sur 8.500 m2 avec des voûtes allant jusqu’à 18 m de hauteur. Elle est présentée dans un encadré de plusieurs pages mettant en exergue les gravures et peintures les plus marquantes. Une quarantaine d’encadrés scandent ainsi la trame du livre : de l’emblématique Lascaux au coq gaulois… L’un d’entre eux est consacré à la dame de Brassempouy (Landes). Datée d’il y a 23.000 ans cette petite et fine statuette sculptée dans de l’ivoire de mammouth tranche avec les représentations des autres « Vénus » fortement sexuées avec des seins, des fesses et des vulves proéminentes. Un préhistorien a pu écrire : « Il semble que ce fut l’amour qui incita le premier sculpteur à ciseler l’ivoire pour représenter la femme aimée ».
Car les stéréotypes sur les femmes et les hommes préhistoriques restent nombreux, en particulier sur la violence qui aurait été endémique. La réalité est plus complexe. Elle varie suivant les lieux et les époques. Celles-ci restent définies comme paléolithique (ancien, méso et néo), âge du bronze, puis les deux âges du fer définis en fonction de deux sites celtiques : Hallstatt, en Autriche, puis La Tène, en Suisse. Cette unité traversée par une grande diversité (qui anticipe la devise européenne actuelle) justifie le titre donné par Anne Lehoërff à son livre : « Préhistoires d’Europe ».
Nous continuons à parcourir notre continent avec elle. De chasseurs-cueilleurs les Européens deviennent progressivement paysans. C’est un processus complexe qui implique d’identifier les variétés végétales et les espèces animales pour les domestiquer progressivement C’est la révolution néolithique. La « protohistoire » commence entre 8.000 et 6.000 ans. Elle ne se réduit pas à la naissance de l’agriculture. Les sociétés européennes affirment leur identité sociale, culturelle et territoriale. Les choix funéraires témoignent de ces affirmations. Le marquage des espaces, par exemple autour de Stonehenge ou de Carnac, s’accompagne de leur franchissement. L’invention et le développement de la céramique comme de la métallurgie s’y inscrivent.
Préhistoire ou histoire de la première Europe ?
Bien des découvertes changent notre regard sur notre lointain passé. La baisse des eaux du lac de Zurich en 1853 a permis de découvrir dans les Alpes une civilisation spécifique qui se développe dans le cadre de cités lacustres. Leur découverte est riche d’enseignement sur la vie quotidienne. La mise au point de la datation au radiocarbone en 1950 a permis de constater que les mégalithes (Dolmens, menhir, cromlech…) de l’Europe sont plus anciens que ceux du Proche orient d’où la technique était censée venir. Dans le glacier alpin de l’ Ötztal, on découvre en 1991 la plus ancienne momie humaine, surnommé Ötzi. Il est mort il y a environ 3.500 ans. Sa morphologie, son équipement font l’objet d’analyses méthodiques. L’âge du fer et le monde celtique sont longuement décrits du point de vue de l’archéologie.
Tout au long de l’ouvrage Anne Lehoërff met en perspective l’évolution des thèses des chercheurs, notamment le passage d’une archéologie développée d’un point de vue national vers une archéologie globale, européenne dans sa perspective générale, intégrant les derniers progrès scientifiques. Un dossier de 70 pages entre dans le métier d’archéologue dédié à l’histoire de la première Europe, expression sans doute plus pertinente que celle de « préhistoire ». Il reste à confronter ce panorama archéologique passionnant avec les apports de la linguistique, de la mythologie comparée et de la génétique…
Illustration Stonehenge générée par I. A.
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