Comment peut-on être Européen ?
L’Europe face aux empires. Débat le 11 juin.
La Ligue de l’enseignement et les Cercles Condorcet vous invitent aux Entretiens de Condorcet le mercredi 11 juin 2025
Avec Bernard Guetta et Guillaume Duval. Ce débat public se déroule de 18h à 21h au Théâtre Juliette Récamier, 3, rue Juliette Récamier 75007 Paris. Sur le thème « L’Europe face aux Empires ».Bernard Guetta est journaliste, a collaboré à de nombreux médias dont Le Nouvel Observateur, le Monde, L’Expansion, Le Temps, La Repubblica, France Inter, … Il a reçu le prix Albert Londres en 1981. Il a été correspondant du Monde à Washington et à Moscou. Depuis 2019, il est député au Parlement Européen.
Guillaume Duval est ingénieur de formation, est conseiller auprès de l’Institut Jacques Delors. Il a été rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, membre du CESE et il a écrit les discours du Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borell.
Michel Cabirol, président du Comité de liaison des Cercles Condorcet, présente le sujet:
Pendant des siècles, les pays Européens se sont déchirés dans des guerres fratricides : le paroxysme a été atteint lors des horreurs innommables de la seconde guerre mondiale mais la guerre de 14-18, la guerre de 7 ans ou celle de 30 ans voire les guerres de religion sont aussi restées dans les mémoires.
L’Europe s’est construite après 1945 sur la volonté d’organiser pacifiquement les relations entre pays d’Europe de l’Ouest mais aussi sous la pression de l’URSS.
Malgré la guerre froide, l’Europe a pu se reconstruire et se développer en symbiose avec les USA. Elle a donc connu une paix relative jusqu’en 1990 puis une courte parenthèse enchantée de 1990 à la fin des années 2000. L’hyperpuissance américaine veillait face à une Russie en grave crise existentielle et une Chine encore fortement sous-développée. L’Europe a tiré alors le maximum des dividendes de la paix, le mercantilisme et l’ordo-libéralisme allemands triomphaient. L’Europe s’élargissait en faisant se rejoindre l’histoire et la géographie.
Quelques signaux plus ou moins faibles auraient dû alerter les Européens : guerres de Yougoslavie avec notamment les bombardements de l’OTAN sur la Serbie en 1999 qui ont rompu la confiance avec les Russes, guerres en Tchétchénie et dans le Caucase, intervention occidentale en Libye dépassant le mandat « négocié » avec les Russes, ….
L’Europe n’en a pas tenu compte car :
• il n’y avait pas de volonté politique commune de bâtir un système de sécurité européen en dehors du parapluie américain. D’ailleurs, les Américains n’étaient pas très enclins à laisser émerger un bloc Européen indépendant voire à accepter un rapprochement entre la Russie et l’Europe.
• beaucoup espéraient la fin de l’histoire avec la victoire définitive de la démocratie libérale et que le « doux commerce » dissiperait les ardeurs belliqueuses.
Elle s’est donc endormie sur ses excédents commerciaux et plusieurs occasions de pacifier le cours de l’histoire ont été perdues. En outre, au début des années 2010, les Américains ont commencé à se désengager du Moyen-Orient et à vouloir pivoter sur l’Asie-Pacifique.
Les premières tensions en Ukraine en 2013/2014 puis en Syrie n’ont pas suscité des réactions occidentales significatives. La Russie s’est enhardie en 2022 avec l’agression massive de l’Ukraine. Cette « opération spéciale » qui devait être une promenade de santé s’est avérée un bourbier pour la Russie. Cette guerre a constitué un réveil douloureux pour l’Europe en montrant les limites de la politique passée.
Le second coup de tonnerre, suite à l’élection de D. Trump à la présidence des Etats-Unis, a été un quasi renversement d’alliance des Américains qui sont devenus au mieux neutres voire qui épousent les thèses russes. En outre, les errements de la politique économique de D. Trump créent un climat de défiance qui pourrait déclencher une crise économique mondiale.
Enfin, la guerre commerciale entre les USA et la Chine risque d’avoir des conséquences négatives pour l’Europe. Certes, les entreprises chinoises vont essayer de déverser leurs excédents de marchandises en Europe à prix cassés mais l’Europe s’aperçoit que la Chine domine plusieurs filières industrielles critiques. Même si l’Europe est moins concernée, les velléités expansionnistes de la Chine en Asie représentent une menace sérieuse. De plus, il y a un risque non négligeable de voir la Sibérie et son formidable potentiel de ressources naturelles passer à terme sous contrôle indirect voire direct de la Chine.
Il ne faudrait pas que l’Europe connaisse le même sort que la République des deux nations (Pologne/Lituanie) qui était un des états les plus vastes et les plus peuplés, donc les plus puissants d’Europe au XVIème siècle mais qui n’existait plus à la fin du XVIIIème siècle, dépecé par les empires voisins.
Face à cette situation, des décisions importantes ont été prises notamment en Allemagne. Toutefois, les discours ont montré leurs limites (les Européens sont totalement incapables de remplacer à court terme le soutien américain à l’Ukraine). Nous vous proposons de réfléchir à un plan cohérent pour l’Europe face aux diverses menaces impériales :
Quelle évaluation font les Européens des menaces réelles encourues face à la Russie ? aux USA ? à la Chine ? Les menaces potentielles sont multiples : militaires, financières, technologiques, d’accès aux ressources ou aux produits, ….
Quelle riposte à court terme pour que l’Europe se fasse respecter sur les plans militaire, économique, technologique, … ? Cette riposte doit être réfléchie et optimisée pour ne pas détourner l’Europe d’autres tâches essentielles.
Quelle architecture de défense Européenne : informationnel, cybersécurité et manipulation des médias, spatial, conventionnel, nucléaire ? Faut-il aussi atteindre un niveau suffisant de dissuasion conventionnelle et ne pas se reposer exclusivement sur le nucléaire ? Comment étendre la dissuasion nucléaire française à l’Europe : ambigüité stratégique, élargissement des intérêts vitaux de la France, têtes nucléaires « françaises » en Allemagne ou en Pologne voire sous contrôle allemand ou polonais ? Quelles conséquences de la position spéciale de la France avec le deuxième domaine maritime mondial, notamment dans l’Océan Indien et dans le Pacifique ?
A court terme, notamment face aux USA et à la Chine, la confrontation devrait plutôt rester sur les plans financier, industriel, économique, … Quelles sont les armes de l’Europe ? Quel plan pour recouvrer une véritable souveraineté dans ces domaines : métaux et minerais, énergie, microprocesseurs, réseaux sociaux, IA et quantique, … ? L’euro face au dollar et au Yuan ? Comment éviter une dérégulation totale de la sphère Internet ?
Comment mettre en œuvre concrètement et rapidement ce plan pour qu’il ne reste pas au stade des discours et des réunions sans lendemain ? Comment financer concrètement ce plan ? Comment définir une ligne commune à l’ensemble des 27 pays ou faudra-t-il envisager des groupes plus restreints et plus réactifs ?
Pouvons-nous proposer aux Empires des stratégies plus pacifiques pour eux-mêmes après avoir montré nos muscles ? La vague actuelle de populisme et de nationalisme et l’absence de référent mondial suite à la démission des USA rendent cette perspective peu probable mais il ne faut pas négliger d’y réfléchir.
Au-delà de cette réflexion sur un plan d’actions à court terme, il faudra entamer un travail sur le plus long terme en se demandant si l’Europe avec ses valeurs et ses acquis peut inventer un mode de développement original avec un équilibre entre la force et les valeurs pour sortir d’un affrontement mécanique avec les Empires. En effet, la guerre (voire a minima la confrontation militaire de bas niveau) engendre son lot de souffrances et de destructions mais surtout elle empêche d’investir dans les tâches prioritaires : sortir de la misère le milliard d’êtres humains qui s’y trouvent encore, investir dans les transitions énergétique et écologique, financer la recherche notamment médicale, … Sur quelles valeurs et selon quel processus l’Europe s’est-elle construite ? L’Europe peut-elle régénérer la démocratie libérale occidentale et accroitre le « désir d’Europe » pour qu’elle ne perde pas son âme dans la confrontation avec les Empires ? Comment peut-elle accroitre sa cohésion ? Les institutions invisibles peuvent-elle y contribuer au niveau Européen ? Peut-elle tisser des alliances avec d’autres régions du monde (Amérique Latine, ASEAN, Inde, Afrique, …) ? Sans reprendre la phrase apocryphe de Jean Monnet sur la culture, peut-on envisager de promouvoir des échanges culturels qui aideraient à une meilleure compréhension des peuples ? Dans cette optique, la confrontation avec les Empires se déplacerait du militaire à l’idéologique. Les points listés dans ce dernier paragraphe feront l’objet d’un Entretien de Condorcet à l’automne.