Comment peut-on être Européen ?
Regards sur le syndicalisme européen actuel
Comment se porte le syndicalisme européen ? Les transformations récentes du monde du travail, les dérives du néo-libéralisme accompagnées par l’instauration de politiques d’austérité, l’augmentation de la précarité et du chômage, tout comme le développement de l’extrême droite sont autant d’éléments qui mettent à mal aujourd’hui le syndicalisme en Europe. Pour autant, face à ces nombreux défis, on assiste à une réinvention du syndicalisme dans de nombreux pays. Pour mener les luttes, des nouvelles formes d’engagement et de mobilisation se mettent en place au sein de l’Union européenne, où l’on assiste à un dynamisme inédit. Cela oblige les organisations syndicales du vieux continent à renouveler leur fonctionnement et à s’interroger sur leurs pratiques.
Le rôle majeur de la CES
Qui dit syndicalisme européen dit CES, à savoir la Confédération européenne des syndicats. Le récent accord sur la directive concernant les travailleurs et travailleuses des plateformes a montré que ce regroupement peut influencer les politiques européennes : sur cette question précise des plateformes, c’est un point positif qui va améliorer les conditions de travail de près de 30 millions de personnes. Mais cette avancée n’est qu’une première étape car il faut maintenant que cette directive soit mise en œuvre par les pays membres, alors que par exemple la France a voté contre. Cette victoire symbolique est pourtant déjà très significative pour le syndicalisme européen. Dans le cadre des élections européennes de juin 2024, la CES a rédigé un manifeste regroupant 12 revendications.
Le frémissement d’un dynamisme nouveau ?
Dans la plupart des pays de l’UE, on a connu depuis plusieurs années un affaiblissement du taux de syndicalisation. Aujourd’hui, le taux moyen de syndicalisation dans l’UE est d’environ 25 %, mais avec des différences importantes. Certains pays du Nord ont un taux entre 60 et 70 %, alors que la France stagne autour de 10 % depuis de nombreuses années ( voir Centre d’observation de la société )
Pour autant, plusieurs conflits sociaux récents ont montré que le syndicalisme n’est pas mort : c’est en particulier le cas en France avec le conflit sur la réforme des retraites qui a entraîné de nouvelles adhésions. D’autres luttes syndicales en Europe entraînent actuellement une revitalisation des organisations de défense des travailleurs et travailleuses dans de nombreux pays.
Face aux transformations du monde du travail, les syndicats cherchent aujourd’hui à s’implanter dans de nouvelles branches professionnelles. Des méthodes inédites sont également employées pour tenter de convaincre les salariés des secteurs d’activités que l’on peut considérer comme des « déserts syndicaux ». Il faut également prendre en compte les nouvelles formes d’engagement, en particulier les mobilisations « numériques » tout comme les préoccupations renouvelées comme la lutte pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (sur ce sujet le très bon livre de Cécile Guillaume : Syndiquées. Défendre les intérêts des femmes au travail, Paris, Presses de Sciences Po, 2018), ou bien encore l’action pour une transition écologique juste et équitable (voir à ce sujet le numéro de Chronique internationale de l’IRES « Les syndicats face aux défis environnementaux » )
Un panorama des forces syndicales dans l’Union européenne
L’Institut syndical européen ( ETUI, European Trade Union Institute) est le centre de recherche et de formation lié à la CES. Il propose une étude récente en anglais sur l’ensemble des syndicats dans les pays de l’UE disponible en ligne gratuitement . On dispose avec ce livre coordonné par Jeremy Waddington, Torsten Müller et Kurt Vandaele d’un panorama complet des syndicats de l’UE face au défi de « ramasser les morceaux du défi néolibéral ». Cette étude porte sur l’ensemble des 27 pays membres et fourmille d’analyses et de détails sur les syndicats dans chaque pays de l’UE sur la période 2000 à 2023. On y perçoit plus particulièrement comment les syndicats ont dû s’adapter face au néolibéralisme qui s’est imposé aussi bien dans les pays de l’Europe de l’Ouest que dans ceux de l’Est qui ont rejoint l’UE à la suite de l’élargissement de la fin du XXème siècle. Cela a remis en cause le rôle de ces organisations qui avaient su être des partenaires essentiels dès le début de la construction européenne en participant activement à l’octroi de nouveaux droits pour les travailleurs et les travailleuses et en étant des acteurs clés du dialogue social avec les États. L’étude montre les difficultés actuelles des syndicats tout en donnant des exemples de nouvelles mobilisations et de nouveaux fonctionnements.
On complétera cette analyse par l’article du chercheur Tristan Haute paru récemment dans la Chronique internationale de l’IRES. Cet institut de recherches économiques et sociales est une association au service des organisations syndicales (UNSA Éducation, CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) et elle fournit de nombreuses études sur le syndicalisme en Europe. L’article de ce chercheur est intitulé : « La perception des syndicats par les salarié.es : logiques politiques et sociales ou logiques nationales » Il montre que globalement l’ensemble des salarié.es en Europe a une attitude favorable envers les syndicats, ce qui peut entraîner un nouveau développement que le contexte post-covid a profondément bouleversé. Cet article étudie également les liens éventuels entre l’engagement syndical et le positionnement politique. Sur ce point, le syndicalisme européen doit faire face au développement de l’extrême droite partout en Europe, ce qui peut le fragiliser de nouveau.
Le syndicalisme européen face à l’extrême droite
Sur ce sujet, on doit saluer le travail de la fondation Friedrich Ebert qui étudie depuis plusieurs années le syndicalisme en Europe face au défi de l’extrême droite. Plusieurs analyses sur des pays de l’UE ont déjà été publiées par cette fondation sous le titre « Le syndicalisme et le populisme d’extrême droite en Europe ».
L’ensemble de ces analyses montre le développement local de l’extrême droite dans les pays de l’UE, ainsi que les tentatives des partis politiques de cette mouvance pour s’implanter dans le monde du travail. Face à cela, les organisations syndicales se mobilisent de plus en plus, plus particulièrement en organisant des séances de formation et d’information sur les dangers de l’extrême droite et en se rencontrant à l’échelle européenne pour informer les adhérents et adhérentes des syndicats ( voir par exemple le récent événement en France réunissant la CGT, l’UNSA et la CFDT, avec la CGIL italienne et la fondation Ebert ( voir le replay de cette rencontre )
Avec le défi de l’expansion de l’extrême droite dans l’Union européenne, le syndicalisme est face à un danger mortel. Dans son manifeste, la CES s’est clairement positionnée contre l’extrême droite européenne : « Nous appelons les partis, les mouvements et les travailleurs·euses à repousser la menace de l’extrême droite, qui prétend malhonnêtement soutenir les travailleurs·euses quand, en réalité, elle attaque leurs syndicats et leurs droits démocratiques, démantelant les droits de l’homme et les droits des femmes en particulier. »